From Firth to Frith
Notes relatives à quelques plaques de verre conservées par les archives de l’Institut français d’archéologie orientale
Les travaux menés au sein du service des archives et collections de l’Institut français archéologie orientale amènent souvent à rouvrir des dossiers précédemment classés et à y faire diverses découvertes plus ou moins surprenantes. Ainsi en est-il allé avec le fonds d’archives de Cecil Mallaby Firth.
Ce fonds est constitué de quelques documents retrouvés parmi les archives de Jean-Philippe Lauer dans sa maison de Saqqarah. L’inventaire du fonds réalisé en deux temps, une première fois en 2017 et une deuxième fois en 2022, pour être déposé sur le catalogue AtoM des archives scientifiques de l’Institut indique que celui-ci est constitué de quelques dizaines de documents papiers[1] et d’une soixantaine de plaques de verre.
Le fonds papier se compose de documents principalement liés aux travaux de Cecil Firth à Saqqarah et inclut des plans du site, une liste des propriétaires de mastaba et deux manuscrits pour des publications de fouilles restées inédites. Il contient également des documents préparatoires pour la rédaction d’un manuel pratique d’archéologie et le manuscrit d’un essai sur la construction des pyramides. L’ensemble de ces documents était regroupé dans un classeur également conservé par les archives de l’Ifao.
Quelques notes ajoutées au crayon de papier sur ces documents sont de la main de Jean-Philippe Lauer et ne peuvent être datées contrairement aux documents produits par Cecil Firth presque tous rédigés sur des feuilles fournies par le gouvernement égyptien et comportant la date de l’année en cours en filigrane.
Le fonds photographique composé de 68 plaques de verre est moins bien connu et doit faire l’objet d’un nouvel examen. En effet, plusieurs éléments posent problème et amènent même à se demander si ces documents n’ont pas été rattachés à ce fonds par erreur.
En effet, rien ne permet de rattacher ces plaques de verre à ce fonds d’archives, ni les documents eux-mêmes, ni le souvenir de ceux qui ont assuré la prise en charge des documents laissés dans la maison de Jean-Philippe Lauer[2].
Du point de vue des documents, deux choses intriguent :
- Les informations figurant sur des étiquettes collées sur les plaques de verre sont écrites en français, alors que Cecil Firth était anglophone, et ne sont pas de la main de Jean-Philippe Lauer.
- Certaines photographies sont bien antérieures à la naissance de Cecil Firth.
Constatant cela, un nouvel examen de ces photographies eut pour objectif d’attribuer une datation à ces documents sinon absolue, au moins relative, et de vérifier si ceux-ci pouvaient appartenir au fonds Firth et être issue d’une collection formée par ce dernier ou si leur classement dans ce fonds était à revoir.
Concernant la datation, quelques critères peuvent être avancés pour dater certaines photographies mais non l’ensemble. Ainsi, la photographie pv_2015_00002 présentant une vue du migdol sud du temple de Ramsès III à Médinet Habou encore recouvert de déblais peut être datée de manière relative en la comparant aux photographies prises par Maxime Du Camp entre 1849 et 1851 et par William de Wiveleslie Abney entre 1874 et 1876. En effet, sur la photographie de M. Du Camp, la porte du migdol est encore totalement enfouie sous les déblais alors qu’elle apparaît partiellement dégagée sur la photographie conservée par l’Institut. Cette dernière est donc postérieure à la photographie de M. Du Camp. Sur la photographie de W. de Wiveleslie Abney, le migdol apparaît dans un état de dégagement proche de celui attesté sur la photographie conservée par l’Ifao mais un mur de brique lézardé visible sur cette dernière et sur celle de Du Camp a disparu. Aussi, il semble raisonnable d’admettre que celle-ci est antérieure à la photographie de W. de Wiveleslie Abney prise entre 1874 et 1876. Il est possible que les espaces dégagés entre la photographie de M. Du Camp et celle conservée par l’Institut correspondent à ceux déblayés par M. Bonnefoy sous la direction d’Auguste Mariette en 1859[3]. Auquel cas, la photographie conservée à l’Ifao pourrait être datée des années 1860 entre 1859 et 1874/6.
De même, une photographie montrant le pylône du temple de Louqsor, son obélisque et les colosses encadrant l’entrée encore recouverts par des déblais arrivant jusqu’aux épaules des colosses peut être comparée à deux photographies de Francis Frith l’une prise en 1857, la seconde en 1859, montrant deux vues du même endroit et témoignant des changements survenus entretemps. Le mur visible derrière l’obélisque et d’une hauteur atteignant la couronne des colosses n’est pas visible sur la photographie de 1857 mais l’est sur celle de 1859 témoignant d’un état qu’attestent diverses autres photographies et qui dû rester peu ou prou le même jusqu’au dégagement du temple entrepris dès 1881 et qui dura jusqu’au début des années 1910[4].
Idem, la plaque de verre pv_2015_00010 montre une vue antérieure à la reconstruction de la colonne penchée de la salle hypostyle du temple de Karnak par Georges Legrain en 1895 et n’est pas sans rappeler une autre photographie prise par Antonio Beato[5].
Enfin, une autre photographie pv_2015_00069, du Ramesseum cette fois, ne peut être postérieure à 1900/1901, les piles de brique bâties par Howard Carter pour soutenir le mur nord-est de la seconde cour portant les scènes de la bataille de Qadesh n’ayant pas encore été construites[6].
D’autres plaques de verre sont plus récentes. Ainsi, la photographie pv_2015_00037 est postérieure aux travaux de déblaiement de l’allée des sphinx menés par G. Legrain en 1896 et présente un état similaire à celui attesté sur une photographie datée de 1910[7]. Les rails visibles sur celle-ci ne sont plus présents sur une autre datée de 1914[8], aussi est-il permis de proposer une datation entre 1896 et 1914 pour la photographie conservée par l’Ifao.
Idem pour la plaque de verre pv_2015_00003 présentant une vue générale du temple d’Hatchepsout à Deir el-Bahari postérieure aux travaux menés dans ce secteur par Henri Édouard Naville de 1893 à 1896 mais antérieure aux travaux de restauration dirigés dans le même secteur par Émile Baraize à partir des années 1920[9].
Un examen approfondi croisant les sources permettra dans un futur proche d’attribuer une date plus précise à chacune de ces photographies. Une vue d’ensemble permet toutefois d’en dater la plupart entre la seconde moitié du XIXe siècle et le premier quart du XXe siècle. Tant en raison de la langue utilisée pour annoter les photographies, que de la graphie de ces annotations et de la datation de ces photographies, il est certain que celles-ci ne sont pas l’œuvre de Cecil Firth.
Reste maintenant à comprendre pourquoi ces plaques de verre sont présentes dans son fonds. Deux possibilités s’offrent à nous. La première voudrait que Cecil Firth ait amassé durant sa carrière un ensemble de plaques de verre présentant des vues de différents sites d’Égypte. Ces plaques de verre se seraient alors trouvées parmi les documents récupérés successivement par Jean-Philippe Lauer et par l’Institut français d’archéologie orientale. Nous pourrions même émettre l’hypothèse que cette collection ait été amassée par Jean-Philippe Lauer et n’ait rien à voir avec Cecil Firth. Or, comme nous l’avons indiqué, les personnes ayant pris en charge les documents n’ont aucun souvenir de plaques de verre. Reste donc la seconde possibilité qui serait celle d’une erreur de classement des documents.
Un élément vient étayer cette seconde hypothèse, la présence sur certaines plaques de verre d’une signature qui pourrait facilement être lue « Firth » or les photographies associées ressemblent fortement à d’autres bien connues prises par Francis Frith. Ainsi en est-il de la photographie pv_2015_00016 montrant les « magasins de blé du gouvernement » dans le temple de Louqsor signée par Francis Frith, numérotée 361 et quasiment identique à celle publiée dans F. Frith, Egypt, Sinai, and Palestine. Supplementary Volume, Londres, 1862. Ces deux photographies montrent une même scène, avec un cadre plus resserré pour celle conservée à l’Ifao à deux moments différents, les silhouettes des personnes en mouvement sur les photographies n’étant pas au même endroit[10]. Cette photographie peut donc être datée entre 1856, date du premier voyage de F. Frith en Égypte[11], et 1862, date de publication de la photographie.
Aussi, est-il certain que certaines plaques de verre intégrées au fonds Cecil Firth sont en réalité l’œuvre de Francis Frith et ont sans doute été classées dans ce fonds suite à une erreur de lecture Firth pour Frith. Toutefois, toutes ces photographies ne peuvent être l’œuvre de Francis Frith notamment celles mentionnées plus tôt dont une datation peut être proposée et est postérieure au passage de F. Frith en Égypte.
La question de la constitution de ce lot de photographies montrant divers sites d’Égypte à diverses époques reste entière et il faut espérer que les travaux de classement des fonds d’archives de l’Ifao et de recherche associée permettront d’en apprendre plus sur cet important ensemble documentaire.
Notes
[1] 109 f., 1 calque, 1 classeur.
[2] Dans un courriel du 15 mai 2024, Nadine Cherpion qui s’était chargée du transfert des archives de Jean-Philippe Lauer à l’Institut français d’archéologie orientale, nous a informé ne pas avoir le souvenir d’avoir ramené des plaques de verre parmi ce fonds.
[3] Daressy 1897, p. VI.
[4] Sur ces fouilles, voir Grébaut 1890, p. 327-337 et Daressy 1893, p. III-IX. Voir aussi Vercoutter 1992, p. 117-118.
[5] Azim, Réveillac 2004, I. p. 144, II. p. 53, photographie 4-3/43.
[6] Sur ces travaux de H. Carter au Ramesseum, voir Carter 1901, p. 193-195.
[7] Azim, Réveillac 2004, I. p. 100, II. p. 9, photographie 4-1/44.
[8] Legrain 1929, fig. 23.
[9] Bierbrier (éd.) 1972 (éd. 2019), p. 34, 338-339.
[10] La photographie conservée à l’Ifao a probablement été prise peu après celle publiée d’après la position des personnes en mouvement.
[11] Vercoutter 1992, p. 103.
[12] Voir aussi Vercoutter 1992, p. 20-21, 117-118.
Bibliographie
Azim, Réveillac 2004
M. Azim, G. Réveillac, Karnak dans l’objectif de Georges Legrain, Paris, 2004.
Bierbrier (éd.) 1972 (éd. 2019)
M.L. Bierbrier, Who was Who in Egyptology (1972), Londres, 2019 (5e éd.).
Carter 1901
H. Carter, « Report on work done at the Ramesseum during the years 1900-1901 », ASAE 2, 1901, p. 193-195.
Daressy 1893
G. Daressy, Notice explicative des ruines du temple de Louxor, Le Caire, 1893.
Daressy 1897
G. Daressy, Notice explicative des ruines de Médinet Habou, Le Caire 1897.
Du Camp 1852
M. Du Camp, Égypte, Nubie, Palestine et Syrie. Dessins photographiques recueillis pendant les années 1849, 1850 et 1851 et accompagnés d’un texte explicatif, Paris, 1852.
Frith 1862
F. Frith, Egypt, Sinai, and Palestine. Supplementary Volume, Londres, 1862.
Godlewski 1986
W. Godlewski, Deir el Bahari V. Le monastère de St Phoibammon, Varsovie, 1986.
Grébaut 1890
E. Grébaut, « Fouilles de Louqsor », BIE 2e série, n° 10 1889, 1890, p 327-337.
Legrain 1929
G. Legrain, Les temples de Karnak : fragment du dernier ouvrage de Georges Legrain, Bruxelles, 1929.
Vercoutter 1992
J. Vercoutter, L’Égypte à la chambre noire. Francis Frith, photographe de l’Égypte retrouvée, Paris, 1992.
de Wiveleslie Abney 1876
W. de Wiveleslie Abney, Thebes and its five greater temples, Londres, 1876.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Nicolas Souchon (22 juillet 2024). From Firth to Frith. ArchivEFE. Consulté le 18 septembre 2024 à l’adresse https://archivefe.hypotheses.org/2683
